Entreprises et assureurs en France : l’heure de la refondation

Les renouvellements des contrats d’assurance à la fin 2021 ont été particulièrement difficiles. Si une fine gestion des aléas est plus que jamais nécessaire, beaucoup réfléchissent aussi à une refonte de l’équilibre du transfert de risque.

Un sondage réalisé par l’association des professionnels du risque en entreprise montre que 90 % des entreprises ont eu « des difficultés » à boucler leurs renouvellements.

Les mots sont durs, l’exaspération visible. Le torchon brûle entre les entreprises et leurs assureurs. Après deux années de durcissement du marché de l’assurance, où les entreprises déploraient déjà des augmentations de primes et de franchises pour des couvertures revues à la baisse, les renouvellements de contrats de la fin décembre se sont révélés plus tendus que jamais et les négociations ont parfois duré jusqu’à tard au soir de la Saint-Sylvestre. Le tout a clairement laissé un goût amer aux entreprises.

De quoi redouter une ambiance pincée entre entreprises, assureurs et courtiers dans les couloirs du rendez-vous annuel des professionnels du risque : les Rencontres de l’Amrae (l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise), qui s’ouvrent aujourd’hui à Deauville et déjà sous stress de Covid.

Déni de service

Un sondage (1) réalisé récemment par l’association des professionnels du risque en entreprise montre que 90 % des entreprises ont eu « des difficultés » à boucler leurs renouvellements : « 60 % ont vu leur couverture réduite, 40 % ont subi des augmentations de primes allant jusqu’à 50 % », explique Léopold Larios de Piña, directeur des risques du groupe Mazars et administrateur de l’Amrae.

« C’est du déni de service ! » s’indignent certains professionnels en entreprise, tandis que les courtiers reconnaissent unanimement « de la nervosité et de la lenteur sur les dossiers, avec des assureurs dont les centres de décision ont tous été délocalisés ». « Il y a clairement un désengagement des principaux acteurs de l’assurance sur les grands risques, et en particulier sur le risque cyber », déplorent Robert Leblanc, président d’Aon France et EMEA, ainsi que Laurent Belhout, CEO d’Aon France-Belgique-Luxembourg-Maroc.

De fait, le Cesin (2) note « une hausse exponentielle des tarifs, quasiment inatteignables, pour une baisse des couvertures et des niveaux d’exigences de la part des assureurs ». Alors que les organisations sont de plus en plus digitalisées et ont récemment pris conscience de l’importance du risque cyber, « les assureurs se sont tout simplement retirés du marché : ce n’est pas une question de prix, il n’y a juste plus de capacité », s’indigne la directrice des risques d’un grand groupe. Et quand les entreprises parviennent à se couvrir, « les polices sont vidées de leur substance », proteste le président de l’Amrae, Oliver Wild. Au point que certaines entreprises pourraient choisir de ne plus se couvrir, sans le risque d’image face à un marché devenu (enfin !) attentif au sujet.

Manque de capacité

Même constat pour les grands risques traditionnels. Ou encore pour l’assurance de la chaîne d’approvisionnement. « Il y a une vraie pénurie au niveau mondial. Après Fukushima ou les inondations en Thaïlande, les assureurs ont limité leur intervention au premier niveau de clients ou de fournisseurs. On ne trouve plus de capacité pour se protéger des événements qui touchent la chaîne d’approvisionnement alors que la chute d’un seul maillon peut avoir des conséquences désastreuses », indique Michel Josset, directeur des risques du groupe Faurecia, également administrateur de l’Amrae dont il préside la commission prévention et dommages.

La crise touche jusqu’aux couvertures en responsabilité civile des dirigeants et administrateurs (RCMS ou D & O). « Les capacités ont été encore réduites d’environ 30 %. Il n’y a pas eu d’accroissement du nombre de litiges, mais les assureurs semblent avoir peur », constate Oliver Wild.

Vision prospective

Pour leur défense, les assureurs évoquent un changement de modèle. « Le monde a changé et personne ne peut ignorer l’accroissement de l’exposition à certains risques. Regarder seulement dans le rétroviseur n’est plus suffisant pour ajuster les conditions contractuelles, il faut une vision beaucoup plus prospective. Ainsi, l’anticipation des conséquences du dérèglement climatique sur la sinistralité est fondamentale pour adapter les contrats. En matière de risque cyber , l’absence d’historique impose également de trouver de nouveaux modèles pour anticiper son impact émergent : le nombre de rançongiciels a été multiplié par quatre dans le monde en 2020. Les entreprises doivent en prendre pleinement conscience et mettre en oeuvre toutes les mesures de prévention indispensables pour anticiper et faire face à ces nouveaux risques grâce à des plans de reprise d’activité », défend Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs (ex-FFA).

De fait, la solution de la crise actuelle semble résider, en premier lieu, dans la prévention et la gestion des risques de l’entreprise, dans une acception désormais étendue. « Back to basics’, résume Léopold Larios de Piña. C’est en améliorant la qualité de son risque qu’on pourra, dans deux ou trois ans, redonner de l’appétit aux assureurs. »

Assurance paramétrique

La compréhension des risques, la capacité à les gérer et à démontrer la pertinence de ses actions semblent être le terreau nécessaire à tout début de dialogue avec ses assureurs. « On peut espérer retrouver une certaine souplesse du marché à l’horizon 2023-2024, à la condition qu’il n’y ait pas trop de sinistralité dans les événements naturels d’ici là », juge Hervé Houdard, vice-président de Diot-Siaci.

En attendant, beaucoup d’entreprises sont en quête d’autres solutions et se déclarent prêtes à repenser l’équilibre de leur transfert de risque. Le sujet des captives est ainsi revenu sur la table : douché pour 2021, l’espoir d’un régime français un peu plus favorable est désormais fixé sur l’après-présidentielle. Comme après d’autres crises historiques, l’idée d’une mutualisation – pourquoi pas multisectorielle et européenne – pourrait aussi faire son chemin. Enfin, beaucoup tablent sur l’innovation, avec des solutions comme l’assurance paramétrique ou l’arrivée de nouveaux acteurs dotés de compétences technologiques et digitales leur permettant de mieux lire l’avenir que les assureurs traditionnels…

(1) « Etat du marché et perspectives 2022, Assurances des entreprises », publié par l’Amrae, à partir d’un sondage mené auprès d’environ 80 de ses membres, en septembre 2021.

(2) Club des experts de la sécurité de l’information et du numérique.

Cécile Desjardins – 2 févr. 2022 – lesechos.fr

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