Les assureurs marocains jouent-ils réellement le jeu en ces temps de crise?

A l’heure où presque tous les secteurs économiques numérotent les abattis en marge de la crise actuelle du Covid-19, les assureurs marocains se frottent plutôt les mains, pour leur part, en bénéficiant d’une chute vertigineuse de la sinistralité. A défaut d’être illégale, une telle explosion des marges de l’assurance dommage sur le dos des assurés aux finances déjà exsangues par ces temps difficiles, est-elle légitime ? Rien n’est moins sûr surtout à l’heure où des assureurs sous d’autres cieux sont mis au pas, pour les mêmes raisons, pour se montrer plus solidaires et responsables.


Si les assureurs français s’empressent à sortir le chéquier depuis que le président Emmanuel Macron les a sommés, dans son allocution du 13 avril 2020, d’être au rendez-vous de la mobilisation économique que requiert la lutte contre la crise sanitaire du Covid-19, leurs homologues marocains sont, pour leur part, presque aux abonnés absents dans la situation de dépression économique sans précédent dans laquelle cette pandémie a jeté notre pays. A commencer par leur place de lilliputien dans la hiérarchie des donateurs et autres contributeurs au Fonds spécial Covid-19 mis en place par S.M le Roi Mohammed VI à l’exception du groupe mutualiste MAMDA/MCMA qui a contribué à hauteur de 500 millions de dirhams.

Ne correspondant point à des achats ponctuels de produits et services motivés par des désirs compulsifs ou réfléchis (donc facilement compressibles voire suppressibles en temps de crise), mais plutôt à des couvertures de risque étalées sur une longue durée (entre quelques mois à un an) et ayant pour certaines un caractère obligatoire (à l’instar de l’assurance automobile), la consommation de produits d’assurance est presque immunisée contre des déplacements brutaux et ponctuels de la courbe de la demande comme c’est le cas aujourd’hui de pans entiers économiques qui, du jour au lendemain, ont vu leurs revenus fondre comme neige au soleil.

En outre, l’état inédit de confinement quasi-généralisé de la population pendant plus de deux mois au moins (si pas de nouvelle prorogation de l’Etat d’urgence sanitaire de la part du gouvernement) et le dé-confinement à venir qui sera, sans doute progressivement étalé sur plusieurs mois, incarnent une véritable aubaine pour une activité qui évolue en cycle économique inversé où le vendeur fixe d’abord son prix de vente (la prime d’assurance) et l’empoche rubis sur ongle avant de connaître, plus tard, son prix de revient définitif (le coût du sinistre), lequel lui assure généralement une marge des plus confortables à moins d’une poussée généralisée aussi fiévreuse qu’inattendue de la sinistralité (« cauchemar » à l’occurrence assez rare que les assureurs ne manquent pas, de toutes les façons, à rattraper en en imputant les conséquences sur les contrats subséquents i.e sur les assurés).

Pourquoi une aubaine ? Tout simplement car pour le seul segment de l’assurance automobile (qui représente près de 30% de l’activité assurantielle globale au Maroc et près de 50% de sa branche Non-vie), les restrictions drastiques imposées au transport terrestre des personnes et, dans une moindre mesure, à celui des marchandises, ont fait chuter le trafic routier de près de 90%, ce qui induit mécaniquement une baisse exponentielle des accidents de la circulation (les premières estimations du premier mois plein de confinement tablent sur un repli d’au moins 85%).

Une situation providentielle pour les assureurs qui récoltent ainsi l’argent des primes sans avoir ou presque d’indemnisations en face à débourser aux assurés sinistrés sachant que le poste des Prestations et Frais (paiement de sinistres) représente à peu près 70% des primes encaissées au titre de l’assurance. Idem pour le segment de l’Accident de Travail où la sinistralité s’est substantiellement dégonflée au cours des dernières semaines dans la mesure où 80% des salariés sont aujourd’hui, en arrêt de travail soit en télétravail à partir de leur domicile (donc exposés à nettement moins de risques qu’en temps normal et étant, de surcroît, dans une situation où il est très compliqué de distinguer entre accident de travail et accident domestique ou ménager) !

Et un tel « dysfonctionnement » des probabilités de sinistralité qui font la science de la tarification des prestations de l’assurance-dommage ne semble hérisser quiconque sous nos cieux alors qu’en France par exemple, les associations de consommateurs et à leur tête l’UFC-Que Choisir, viennent d’exiger fermement du Ministère français de l’Economie et des Finances d’imposer aux compagnies d’assurance de rétrocéder leurs économies liées au confinement par une baisse des primes permettant de conforter le budget des ménages. Et c’est au nom de la loi, et non de la solidarité, que ces associations sont venues faire un écho, on ne peut plus à propos, à l’avertissement présidentiel qui l’a précédé de quelques jours en s’appuyant sur le code des assurances qui prévoit que « l’assuré a droit en cas de diminution du risque en cours de contrat à une diminution du montant de la prime ».

Une disposition dont la loi marocaine n° 17-99 portant code des assurances est bizarrement « indemne » au grand dam des assurés dont elle est censée encadrer les obligations et défendre les intérêts.

Renvoyés dans les cordes, les assureurs de l’hexagone se sont donc empressés à prendre, dans la foulée, une série de mesures pour redorer leur blason dont une contribution de 400 millions d’euros (près de 4,4 milliards de dirhams) au fonds de soutien aux indépendants et aux très petites entreprises, un effort de 1,3 milliard d’euros (plus de 14 milliards de dirhams) en gestes commerciaux divers à l’égard des assurés et, enfin, un engagement de réserver 1,5 milliard d’euros (plus de 16 milliards de dirhams) à un plan d’investissement pour relancer l’économie (dont les contours restent à définir). Certes, cela n’a pas fait taire toutes les critiques mais le package devra coûter tout de même près de 6% des fonds propres de l’ensemble des assureurs Non-Vie.

Et cela est, surtout en ce qui nous importe, sans commune mesure avec les « mesurettes » annoncées par la corporation des assureurs marocains au lendemain de l’entrée en vigueur de l’Etat d’urgence sanitaire et dont la plus « éminente » a été de proroger jusqu’à fin avril 2020 les attestations d’assurances automobile expirant à compter du 20 mars sans oublier de préciser, bien sûr, que les assurés devront s’acquitter, lors du renouvellement de leurs contrats, de la prime globale y compris celle portant sur la période de prorogation. Ce qui signifie que nos « généreux » assureurs n’ont fait que reprendre d’une main ce qu’ils ont feint de lâcher de l’autre (un modeste décalage de quelques semaines en moyenne dans l’encaissement des primes émises pendant le confinement). Quand on sait que nos malheureux concitoyens ont dû subir, au cours des dernières années, une série de hausses successives des tarifs de leur assurance automobile. En attendant que la prochaine sortie de la Fédération marocaine des sociétés d’assurances et de réassurance reflète un autre état d’esprit que celui d’une charité bien ordonnée qui commence par soi-même (sa dernière réunion de crise n’a daigné plancher que sur le soutien à apporter aux agents généraux d’assurance, soit le bras armé commercial du secteur lui-même !), gageons que l’évolution des choses en faveur des assurés du côté français, voire européen, finira bientôt, par ricochet, à faire bouger les lignes également de ce côté-ci de la Méditerranée.

 

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