Assurance auto: Alerte sur la hausse de la sinistralité

Le ratio combiné RC Auto à 93% en 2019
Deux gros réseaux démantelés par Allianz Maroc
Le secteur fragilisé par la rigidité tarifaire de la couverture

L’assurance Responsabilité civile (RC) automobile était jadis considérée comme la vache à lait des assureurs, ces derniers n’hésitant pas à faire jouer aux garanties annexes le rôle de produit d’appel quitte à les vendre en dessous du prix de revient.

Aujourd’hui, la marge sur la RC auto a fondu. Le ratio combiné(1) moyen s’est dégradé de 7,4 points au cours des quatre dernières années à 93%. En intégrant les garanties annexes, le ratio combiné de la branche auto frôle 100%, voire dépasse ce seuil chez certaines compagnies.

L’alerte est régulièrement lancée au cours des conférences des résultats financiers, les compagnies mettant en garde contre la «sortie de route de la branche auto». A la flambée de la sinistralité, il faut ajouter la fraude aux dimensions presque industrielles. Le marché estime qu’au moins 20% des indemnisations dans la branche auto seraient frauduleux. Les acteurs qui sauront apporter une riposte à la fraude sont ceux qui sauvegarderont leur profitabilité.

Chez Allianz Maroc, pour contrer ce fléau, le management a déployé de gros moyens avec le soutien de la maison mère et l’appui du cabinet McKinsey. La gestion d’une partie des sinistres a été rapatriée au siège et les process de gestion des sinistres ont été revus de fond en comble. Un outil d’intelligence artificielle anti-fraude développé par le groupe Allianz permet à sa filiale de mieux décrypter les sinistres et de détecter avec plus de réactivité les dossiers frauduleux.

Un an après son implémentation, les résultats ont été spectaculaires, confie le directeur général d’Allianz Maroc, Joerg Weber. La compagnie a triplé les détections de dossiers de fraude avérés. D’ailleurs deux gros réseaux (à enjeux financiers importants) viennent d’être pris dans la nasse. Ils ont été traduits devant les tribunaux. Les procédures sont actuellement en cours. C’est aussi un message de dissuasion que veut envoyer l’assureur à ceux qui ont fait de la fraude à l’assurance un business-model. Les montages vont de la toute petite combine classique (fausses factures, fausses déclarations, surestimations des dommages…) à des opérations sophistiquées impliquant plusieurs complicités. En gros, des réseaux organisés. La compagnie assure avoir relevé une certaine accélération pendant la période de confinement.

Dès que la fraude est avérée, quel que soit l’intervenant et son niveau – agent, courtier ou collaborateur en interne, expert –, la rupture de la collaboration est immédiatement prononcée, confie le management d’Allianz Maroc qui insiste sur la tolérance zéro face à ce phénomène. Par ailleurs, les personnes impliquées engagent directement leur responsabilité pénale.

La sinistralité automobile est sur une pente inquiétante depuis quelques années. La profession redoute qu’elle ne grève durablement la capacité bénéficiaire du secteur. Toutes les compagnies ont déployé des dispositifs pour contenir cette menace à leurs équilibres financiers. Malgré ce tableau, le citoyen lambda reste persuadé que les compagnies d’assurances réalisent des marges substantielles, constate Joerg Weber. «Mais en vérité, en mettant en face les investissements, une marge de 4-5%, c’est très bien».

Il rappelle au passage que la marge technique du secteur est négative, «heureusement nous ne sommes pas encore dans un contexte de taux d’intérêt négatif comme en Europe». A long terme, dans l’IARD (incendie, accidents et risques divers), la marge sur primes se situe autour de 5%. Or, pour la branche auto, l’évolution de la sinistralité a absorbé toute la marge.

Si les assureurs n’ont aucun levier d’action sur le tarif de la RC auto, ils peuvent néanmoins agir sur les garanties annexes ou les franchises… Dans la foulée de la libéralisation du tarif auto en 2006, de nouveaux critères de différenciation des tarifs devaient être publiés par le régulateur.

Quatorze ans après, toujours rien. Le fait que les assurés paient une RC calculée sur la base de critères figés n’est pas normal, mais en plus cela induit une situation injuste. Par exemple, un assuré qui roule dans une voiture de luxe en ville supporte proportionnellement le même tarif que celui qui a une petite voiture à la campagne. L’assurance étant sur le principe de la mutualisation, un conducteur de la petite voiture couvre ainsi une partie des dégâts causés par un assuré qui possède une voiture haut de gamme.

                                                                                   

Le régulateur doit composer avec des résistances

L’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (Acaps) est sensible à la demande d’extension des critères de tarification, mais il semble que le statu quo actuel (qui dure depuis 14 ans) tient aussi à des résistances au sein du secteur. Sans l’assumer, certains dans la profession redoutent que l’extension de la tarification à des critères comme l’âge, les antécédents,… ne déclenche une guerre tarifaire.

«A court terme, c’est probable, mais à moyen terme, la situation redeviendrait normale car au final, l’auto-discipline finira par l’emporter», tempère un professionnel. Asseoir la concurrence sur les garanties annexes uniquement fausse l’analyse de la sinistralité et empêche une réelle compétition entre les compagnies, analyse un assureur. Ce qui, au final, constitue une forme de prime aux mauvais conducteurs.

Le tarif de l’assurance obligatoire «RC automobile» est libre depuis le 6 juillet 2006, rappelle l’Acaps. Ainsi, les assureurs peuvent librement fixer leurs tarifs, «mais les critères de tarification, fixés par voie réglementaire, restent figés et nous travaillons sur l’élargissement de la liste de ces critères à de nouvelles caractéristiques liées à l’assuré et au véhicule», concède l’Autorité des assurances. Pour elle, la règlementation actuelle ne fait pas obstacle à la concurrence dans la branche automobile. A défaut de nouveaux critères de tarification, une hausse de la prime d’assurance sera inévitable, prévient un professionnel.

F.Fa

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(1) Le ratio combiné est la combinaison du ratio de sinistralité (charges de sinistres/primes acquises) et du taux de frais (charges d’acquisition et autres charges techniques d’exploitation/primes émises).

Franck FAGNON | Edition N°:5820 Le 10/08/2020 – L’ECONOMISTE

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