Le modèle de la réassurance doit changer radicalement pour s’adapter au risque climatique

OPINION. La multiplication d’événements localisés (orages violents, incendies de forêts, inondations…) liés au réchauffement climatique fait évoluer le paysage des risques de manière dynamique et représente de nouveaux enjeux pour le secteur de la réassurance. (*) Par Christopher Dembik, directeur chez Saxo Bank et co-fondateur du cabinet SPAK.

Les années noires se succèdent pour le secteur de la réassurance. Alors que l’année 2020 a connu sa juste part de tragédies et de désastres en lien direct avec la pandémie, les catastrophes majeures d’autres sortes étaient en fait rares. Contrairement à d’autres années, 2020 n’a pas connu de tremblements de terre ou de cyclones particulièrement destructeurs. En revanche, les risques secondaires, ayant une portée plus faible et souvent en lien avec le réchauffement climatique (orages violents, incendies de forêt, inondations localisées etc…) deviennent de plus en plus fréquents.

Pour les réassureurs, ces évènements, qui pris individuellement occasionnent des pertes faibles, sont particulièrement coûteux lorsqu’ils sont tous additionnés. Pour la seule année 2020, elles sont proches de 60 milliards de dollars. L’année 2021 risque de confirmer cette tendance voire de l’amplifier. En l’espace de quelques semaines, les perturbations météorologiques ont été nombreuses : record historique de chaleur dans le nord-ouest du Pacifique, aux Etats-Unis et au Canada, tempêtes dans beaucoup de pays européens (Allemagne, Belgique, République Tchèque et Suisse) et inondations dans plusieurs provinces chinoises. Sur la seule période du 17 au 30 juin dernier, le réassureur britannique Aon estime que les pertes liées aux phénomènes météorologiques extrêmes survenus uniquement sur le continent européen pourraient atteindre au moins 4,5 milliards de dollars. A titre de comparaison, la tempête Andreas en 2013 avait coûté 4,3 milliards de dollars – un record à l’époque. A la différence de la Covid, le changement climatique est un risque systémique qui n’a pas de date d’expiration et qui doit inciter le secteur de la réassurance, déjà confronté à une performance opérationnelle historiquement faible depuis plusieurs années, à changer drastiquement son modèle afin de pouvoir s’adapter.

Deux risques principaux pour les réassureurs

Les réassureurs sont vulnérables au changement climatique sous deux angles. Premièrement, ils sont exposés en leur qualité de souscripteurs de risques d’assurance lorsqu’ils détiennent une responsabilité pour indemniser les assurés qui ont subi des dommages liés au changement climatique. Il peut s’agir de dommages directs (par exemple, propriété endommagée par un évènement météorologique) et indirects (par exemple, perturbation de la chaîne logistique). Ces derniers sont plus difficiles à intégrer dans les outils de gestion des risques que les risques physiques directs.

Deuxièmement, ils sont en position de fragilité en tant qu’investisseurs institutionnels. Le danger réside dans le fait que les réassureurs investissent leur capital dans des actifs qui peuvent perdre de la valeur à cause des dommages liés au changement climatique (tel l’immobilier en bord de mer qui est confronté au risque de l’élévation du niveau des océans). En outre, ils sont exposés en tant que détenteurs d’actions ou de dettes d’entreprises ou de pays contribuant ou étant à la merci des effets du changement climatique (les pays producteurs de pétrole, par exemple). Les actifs en question peuvent être soumis à des risques de transition et subir une perte de valeur soudaine en raison du processus d’ajustement vers une économie décarbonée. Cela affecterait alors significativement les portefeuilles d’investissement des réassureurs.

Une refonte des scénarios de gestion du risque

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Le changement climatique pose, de toute évidence, un défi majeur aux réassureurs et nécessite l’adoption d’une approche proactive qui doit nécessairement induire une meilleure intégration du changement climatique dans les scénarios de gestion du risque. Les modèles de risque ont trop tendance à regarder dans le rétroviseur tandis que le paysage des risques évolue de manière très dynamique. S’appuyer fortement sur les données historiques, comme c’est le cas de nos jours, créé une image floue des risques actuels. Les réassureurs doivent s’abstenir de se fier uniquement aux résultats de modèles basés sur des moyennes multidécennales alors que l’histoire plus récente donne une image très différente. Il faut, au contraire, recalibrer régulièrement les modèles afin de comprendre les risques auxquels l’industrie est confrontée à court terme. Cela implique d’intégrer au mieux le facteur climatique mais aussi les facteurs d’origine humaine (aménagement du territoire, développement des agglomérations urbaines et leur vulnérabilité…) dans les modèles et d’analyser leurs interactions. Prenons l’exemple des feux de forêt : le changement climatique a affecté leur intensité et leur fréquence mais il y a également beaucoup plus de personnes et de maisons sur leur chemin qu’auparavant. Uniquement aux Etats-Unis, le nombre de foyers se trouvant dans une interface forêt-urbain a augmenté de près de 40% de 1990 à 2010. Là où le plus gros effort reste à fournir au niveau des modèles de gestion du risque, c’est afin d’évaluer la sensibilité des zones à urbanisation rapide aux risques liés aux changement climatique afin de pouvoir mettre un prix juste sur ce risque.

Des fusions inéluctables

Enfin, pour faire face au changement climatique, une autre solution consiste en une concentration des métiers de l’assurance et ceux de la réassurance. Elle implique deux avantages principaux, comme l’a mis en avant la note stratégique de l’Institut Choiseul, « L’avenir de la réassurance post-Covid » : permettre aux réassureurs de reconstituer rapidement leur capitalisation et mieux répartir les risques liés au changement climatique sur l’intégralité de la chaîne de valeur (intérêt industriel) et avoir des acteurs suffisamment solides du point de vue financier afin de soutenir l’activité économique lorsque c’est nécessaire (enjeu de souveraineté).

Le mouvement en ce sens est déjà à l’œuvre : rapprochements AIG-Validus, Sompo-Endurance et la tentative avortée entre Scor et Covea. Dans les prochaines années, les fusions vont inéluctablement s’accélérer afin que les acteurs de la réassurance puissent reconstituer leurs fonds propres. Elles doivent être accompagnées par les pouvoirs publics. En France, les sociétés d’assurance mutuelles, qui ont une stratégie d’investissement à long terme, sont incontestablement les mieux placées pour renforcer le secteur de la réassurance et aboutir à la création de géants français solides financièrement et prêts à affronter les aléas liés au risque climatique.

Christopher Dembik (*) – 13 Août 2021 – 

latribune.fr

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