Safi sous les eaux: Qui paie et comment indemniser les victimes des inondations ?

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Les inondations meurtrières qui ont frappé Safi au début de décembre relancent un débat ancien mais toujours d’actualité au Maroc : comment les victimes de catastrophes naturelles peuvent-elles être indemnisées, et par qui ? Cet article explique les mécanismes existants — assurance, Fonds de solidarité national, dispositifs publics exceptionnels — leurs limites pratiques, et les pistes d’évolution à court et moyen terme pour mieux protéger les ménages et les entreprises vulnérables.

Contexte et ampleur du sinistre

La ville de Safi et sa région ont été lourdement touchées par des pluies intenses et des crues qui ont provoqué des pertes humaines, des destructions de logements et des dégâts aux infrastructures et aux activités économiques locales. Ces événements ont remis au premier plan la question de l’indemnisation des victimes, portée tant par les familles sinistrées et les élus locaux que par les partis politiques et la société civile, qui réclament une réponse rapide de l’État et une prise en charge financière des pertes.

Trois voies principales d’indemnisation au Maroc

Au Maroc, l’indemnisation après une catastrophe repose essentiellement sur trois mécanismes complémentaires : les contrats d’assurance privés, le Fonds de solidarité national (ou autres dispositifs publics d’aide), et les mesures exceptionnelles décidées par les pouvoirs publics (aides directes, exonérations, redistribution). Chacune de ces voies présente des avantages et des limites qui expliquent en partie pourquoi de nombreuses victimes restent sans réparation intégrale.

1) L’assurance privée: couverture mais faible pénétration

Les contrats d’assurance habitation et multirisques peuvent couvrir les dommages causés par les intempéries, mais ils fonctionnent selon les principes habituels du secteur : couverture contractuelle, franchises, plafonds d’indemnisation et procédures de constatation et d’expertise. En pratique, la couverture des risques liés aux inondations dépend du contrat souscrit par chaque ménage ou entreprise. De plus, la pénétration de l’assurance habitation dans les couches les plus modestes de la population reste limitée au Maroc, ce qui exclut une large partie des sinistrés d’un recours effectif à l’assurance pour reconstruire.

2) Le Fonds de solidarité national: un filet public soumis à arbitrages politiques

Le Fonds de solidarité contre les événements catastrophiques (FSEC), évoqué à chaque grande catastrophe, est conçu pour apporter une aide collective lorsque des besoins dépassent les capacités d’intervention ordinaires. Son activation est cependant une décision politique et administrative qui implique des critères d’éligibilité, des procédures d’évaluation des dégâts et des modalités de versement. Après les inondations de Safi, la question de l’activation du Fonds de solidarité est revenue au Parlement, signe que ce mécanisme reste central mais controversé quant à son efficacité et à sa promptitude.

Les problèmes fréquemment observés avec ce type d’intervention publique sont : délais dans l’évaluation et le versement, ciblage parfois inégal des bénéficiaires, et montants souvent insuffisants pour compenser totalement les pertes économiques (bien que ces aides puissent être cruciales pour la survie des ménages). La décision d’activer le Fonds — ou de mobiliser d’autres ressources publiques — dépendra aussi des arbitrages budgétaires et des priorités gouvernementales.

3) Mesures exceptionnelles et dispositifs juridiques spécifiques

Outre le Fonds, l’État peut décréter l’état de catastrophe ou de « ville sinistrée », ouvrir des lignes budgétaires d’urgence, exonérer de certaines taxes, ou lancer des programmes de reconstruction ciblés. Les partis politiques et certains acteurs publics appellent aujourd’hui à la déclaration de Safi comme ville sinistrée afin de faciliter l’accès à ces mesures exceptionnelles et accélérer l’indemnisation et la reconstruction.

Limites systémiques révélées par la catastrophe

Les événements à Safi mettent en lumière plusieurs failles structurelles :

– Faible couverture assurantielle dans les populations vulnérables, surtout en milieu urbain précaire et dans les zones périurbaines où les constructions sont souvent informelles.

– Procédures d’aide publique lentes et politiques, qui peuvent retarder l’aide indispensable dans les premières semaines suivant la catastrophe.

– Absence d’un mécanisme universel et automatique d’indemnisation des catastrophes naturelle, comparable à certains systèmes internationaux qui combinent assurance publique, prévoyance et résilience communautaire.

En outre, la question de la prévention et de la gouvernance locale des risques n’est pas neutre : les dommages sont aggravés lorsque l’urbanisme, les infrastructures de drainage et la gestion des bassins versants ne tiennent pas compte des risques climatiques croissants. Sans investissements préventifs, les dépenses d’indemnisation et de reconstruction risquent d’augmenter au fil des années.

Pistes pour améliorer l’indemnisation et la résilience

Plusieurs options peuvent être envisagées pour rendre le système plus juste et plus efficace:

– Renforcer la pénétration de l’assurance paramétrique ou indexée sur des indicateurs climatiques: ces produits versent rapidement une indemnité lorsque des seuils (pluviométrie, débit) sont atteints, évitant des longues expertises au cas par cas. Ils peuvent être subventionnés pour les ménages vulnérables.

– Clarifier et institutionnaliser les critères d’activation du Fonds de solidarité et accélérer les procédures d’évaluation: des règles transparentes réduiraient l’arbitraire politique et offriraient des droits plus prévisibles aux victimes.

– Développer des mécanismes hybrides public-privé: l’État peut jouer un rôle d’assureur de dernier recours, en co-finançant des polices à tarif réduit pour les zones à risque, ou en intervenant via des réassurances publiques pour stabiliser les marchés.

– Investir massivement dans la prévention et l’adaptation: renforcement des systèmes de drainage urbain, reforestation et gestion des bassins versants, normes de construction adaptées aux zones inondables et relogement des populations exposées lorsqu’il n’existe pas d’alternative sûre.

– Mise en place d’un cadre légal pour les catastrophes naturelles: certains partis et acteurs demandent l’application ou l’adoption d’une « loi sur les catastrophes naturelles » qui clarifierait les obligations de l’État, les droits des sinistrés et les procédures d’indemnisation.

Considérations pratiques pour les sinistrés aujourd’hui

Pour les ménages touchés, voici des démarches concrètes à entreprendre immédiatement:

– Documenter les dégâts (photos, vidéos, listes des biens détruits) et conserver tous justificatifs (factures, contrats). Ces éléments faciliteront les démarches auprès des assurances ou des commissions d’indemnisation publiques.

– Contacter rapidement son assureur pour déclarer le sinistre et connaître les procédures et délais de prise en charge, si une assurance est en place.

– Se renseigner auprès des autorités locales et des services sociaux sur les dispositifs d’aide d’urgence et sur l’éventuelle activation du Fonds de solidarité.

– S’adresser aux associations et ONG locales qui peuvent apporter une aide matérielle et juridique pour monter les dossiers.\n\nQuel calendrier pour l’indemnisation ?

Le calendrier dépendra des décisions politiques (activation du Fonds, déclaration de zone sinistrée), de la capacité administrative à évaluer les dégâts et de l’organisation du secteur assurantiel pour traiter les dossiers. Les aides d’urgence peuvent arriver rapidement via des distributions matérielles et des secours, mais les indemnisations financières, elles, prennent souvent plusieurs semaines à plusieurs mois, surtout si des expertises techniques sont nécessaires.

Conclusion:

La crise de Safi illustre la tension entre des besoins immédiats d’indemnisation et les limites d’un dispositif qui combine assurance privée limitée, mécanismes publics ad hoc et capacités de prévention insuffisantes. Pour réduire la vulnérabilité future, il faudra à la fois améliorer la couverture assurantielle, rendre l’intervention publique plus prévisible et transparente, et investir dans des mesures de prévention et d’adaptation au changement climatique. Les décisions prises dans les semaines et mois qui suivent détermineront non seulement la réparation des pertes actuelles, mais aussi la résilience de Safi face aux prochaines catastrophes.

212assurances – Le site d’information N°1 de l’Assurance au Maroc et en Afrique – 18 décembre 2025

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